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La Muse démocratique

Henry James ou les pouvoirs du roman

Mona Ozouf

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Subtil analyste de l'ambiguïté des sentiments humains, excellant à multiplier les points de vue sur les êtres et à susciter la perplexité du lecteur, Henry James figure, à côté de Woolf, Proust, Joyce, Musil, dans le panthéon des très grands écrivains qui ont renouvelé le roman moderne. Ses livres les plus célèbres : Portrait de femme, Le Tour d'écrou, L'Image dans le tapis, Les Bostoniennes ; composent d'inoubliables variations sur le thème de l'insondable mystère qu'est la vie de chacun. « On ne peut dire le tout de rien », écrivait-il volontiers.
Mais cet Américain qui avait adopté l'Angleterre comme patrie, cet inconditionnel de la démocratie du Nouveau Monde qui ne se sentait bien que dans l'Ancien, est aussi un témoin particulièrement lucide de l'époque qui finit et de celle qui commence. Avant les autres, il a vu que le mouvement de l'égalisation dans les sociétés modernes, irréversible et d'ailleurs souhaitable, préparait un monde qui verrait la confusion des rôles, le règne tout-puissant de la richesse, la religion triviale de la normalité ; il a pressenti que les sociétés de demain seraient inamicales à l'art, élitiste et hiérarchique par essence.
C'est cette face jusqu'à présent cachée de l'oeuvre de James qu'explore ici Mona Ozouf, que sa connaissance de l'histoire de l'idée démocratique rend singulièrement apte à entendre, dans ces textes célèbres, un écho nouveau. La muse démocratique a-t-elle devant elle de beaux jours ? Le spectacle d'une humanité grégaire la rebute, le déclin de la vie privée la fait trembler ; les relations entre hommes et femmes la désespèrent. Pour éclairer son inspiration désenchantée, il y a, heureusement, la littérature.